Histoire & patrimoine : une journée particulière

Monsieur Jean-Pierre Maume nous a fait parvenir un texte retraçant les événements qui ont eu lieu dans notre commune le 2 juin 1944.

Né à Villers-Saint-Paul, il y a suivi une partie de sa scolarité puis sa famille s’est installée à Amiens.

En cette année 1944, les bombardements étant devenus très fréquents dans la Somme, sa famille s’est repliée chez ses grands-parents dans notre commune.

« La journée du 2 juin 1944 a fait date dans l’histoire du village et a profondément marqué ma vie.

Ce jour là, dans un ciel sans nuage, les passages de bombardiers alliés sont plus intenses qu’habituellement. Les objectifs étant le plus souvent situés dans la région parisienne, spécialement ce jour là, les usines Renault.

C’est la fin de l’après midi, les bombardiers américains, allégés de leurs bombes, sont sur le chemin du retour. Ne volant pas à très haute altitude, on les distingue facilement, les uns suivant les autres dans la lumière de cette fin de journée. Ils viennent de traverser la zone dangereuse de Creil, où les Allemands ont concentré leurs batteries anti-aérienne. Les bombardiers sont de proies faciles pour les redoutables 88.

Les avions s’éloignent mais il semble qu’il y ait un retardataire. C’est un gros liberator qui se traîne, à bout de souffle, touché par la flak allemande.

Nous étions mon père et moi au jardin, dans le village et assistions au retour des avions ,quand, du Liberator, nous voyons sauter un parachutiste, puis quelques secondes après un second, un troisième, un autre encore et encore…

Les parachutes se déploient dans le ciel. Il semble qu’ils vont tous atterrir sur les collines. L’avion continue cependant à vouloir poursuivre son vol, ses moteurs peinent, il disparaît en direction de Rieux.

Un avion est abattu

Et tout à coup, un épouvantable hurlement de moteur dans le ciel. C’est l’avion qui revient dans notre direction. Effrayés mon père et moi, nous nous jetons sur le sol, un terrible choc nous secoue : l’avion vient de s’écraser tout près dans le village. La stupeur passée, je me dirige sur le point d’impact à proximité du lavoir. L’avion est là complètement désintégré, il y a un grand trou dans la terre, un amas de tôles et de moteurs, mais pas de flammes. Pendant ce temps les parachutes ont certainement atteint le sol dans les collines.

Un rescapé est arrêté

Mais, en voilà un qui descend sur le village, il se dirige droit sur l’endroit où l’avion s’est écrasé. Rasant les toits, il atterrit dans un cerisier à quelques mètres des restes de l’avion, dans le jardin de madame F. C’est justement chez cette dame que loge le Chef de gare allemand de la gare de Villers.; un brave homme, déjà un certain âge et que le bruit a réveillé tandis qu’il faisait paisiblement sa sieste. Sautant de son lit, il se précipite vers la fenêtre qui donne sur le jardin et voit le parachutiste empêtré dans le cerisier. Son revolver de service au poing, il va cueillir l’aviateur qui descend indemne de son arbre et ramène son prisonnier vers le village . C’est un tout jeune homme, qui semble heureux d’être rescapé. J’avais dix-sept ans, je me suis rapproché des deux hommes et j’ai utilisé mon anglais scolaire pour engager la conversation. Le jeune homme a demandé à boire. Le brave chef de gare allemand a rangé son arme. L’aviateur s’est assis sur le seuil de la maison la plus proche et a apprécié le grand verre d’eau que Mme Dohen lui a apporté. Il s’inquiète du sort de ses camarades qui ont sauté avant lui. Il m’apprend que le pilote blessé, incapable de sauter en parachute et ne pouvant plus manoeuvrer l’appareil, avait cependant évité de s’écraser sur le village. Il y avait aussi dans l’avion, un petit chien mascotte de l’équipage. Quelques instants plus tard, un véhicule de l’armée est venu embarquer le jeune aviateur, qui nous a quittés en nous remerciant et à qui nous avons souhaité bonne chance.

Sur les lieux de l’impact

Je me suis rendu ensuite sur les lieux de l’impact. Un petit groupe de villageois examine les restes de l’appareil, sous la surveillance d’une sentinelle allemande. Il nous faut rechercher le pilote déchiqueté dans le choc et dont les restes dispersés sont mêlés à la terre et à la ferraille.

On me signale que l’on vient de retrouver sa tête. Voyant l’hésitation et l’émotion de tous les hommes présents devant cette découverte, je décide de procéder moi-même à cette émouvante récupération. Les services municipaux avaient apporté des cartons vides de biscuit caséinés qu’à l’époque on distribuait aux enfants des écoles .

La tête était là, recouverte d’une fine poussière mais intacte au milieu des décombres. Le pilote avait les yeux fermés et semblait dormir paisiblement. Je me suis penché, j’ai appuyé mes mains sur les oreilles, et après l’avoir religieusement soulevé, je l’ai glissée doucement dans le carton.
Comme c’est lourd une tête d’homme !
Elle est allée rejoindre les autres restes rassemblés qui ont été ensuite confiés aux services municipaux. Le petit chien, mascotte de l’équipage, avait rejoint le paradis des chiens fidèles et dormait, un peu plus loin dans la poussière. Un soldat allemand, avait ramassé une des mains du pilote et en récupéra la bague.

C’était le 2 juin 1944 à Villers-Saint-Paul. Quatre jours plus tard, les alliés débarquaient sur les plages normandes.»

A Villers-Saint-Paul, le chemin du lavoir est devenu la rue du liberator.
Une plaque perpétue le souvenir du 2 juin 1944. On peut y lire le nom du pilote décédé le Sergent John McGeachie. Il est aujourd’hui inhumé au cimetière américain d’Épinal.

Site-filet-rouge.jpg

Texte paru dans le Bulletin municipal n° 80 d'octobre 2016.

enlightenedLes bulletins en téléchargement enlightened

Services Public