Mémoires de la Libération

En 1944, Madame Andrée Bonmarchand, résistante, décorée de la légion d’honneur, a eu le courage de s’opposer aux « règlements de comptes » ont jalonné la libération des communes de France. Heureuse et enjouée de vivre ce moment tant attendu et pour lequel elle avait oeuvré, elle ne pouvait cependant pas admettre que des actes cruels soient commis par certains « pseudo-libérateurs » résistants de la dernière heure.

« Deux jours avant notre libération, j’étais seule à la maison, mon mari travaillant de 13h à 21h. On frappe tout à coup à la porte : deux jeunes gens entrent la veste bien fermée alors qu’il faisait une chaleur d’enfer. Ils me disent d’emblée en ouvrant leur veste pour me montrer leurs mitraillettes et me faire peur : « Nous venons nous poster à votre fenêtre pour descendre votre voisine, il va être 19h et elle va arriver ».

Elle était infirmière à l’usine, j’habitais le 1er étage et elle le rez-de-chaussée. Une de mes fenêtres se trouvait juste au-dessus de sa porte d’entrée.

L’un d’eux s’approche de la fenêtre et me dit que d’ici ce serait parfait. Je pense bien, il y avait à peine deux mètres !

C’est à ce moment-là que je leur ai crié de ficher le camp sinon j’alertais tout le quartier et je leur demandais ce qu’ils avaient à reprocher à cette pauvre femme qui élevait seule ses deux enfants de 7 et 9 ans.

Là, ils se sont mis à hurler : « c’est une alsacienne, on est sûr que son mari alsacien vient la voir fréquemment ».

Comme j’ouvrais toute grande la porte, j’ai eu le droit à quelques bordées d’insultes, d’injures et ils sont partis en criant qu’il n’y avait plus longtemps à attendre pour qu’ils soient les maîtres et qu’ils examineraient mon cas !

L’un d’eux m’a même fait remarquer qu’il allait être maire dans quelques jours et que tout allait changer.

Une autre personne aurait peut-être été impressionnée à ma place mais moi, après toutes mes précédentes aventures, je les ai plutôt plaints.

Le 31 août, l’armée américaine était à quelques kilomètres de Villers. Le 1er septembre, elle fit son apparition dans Villers en pénétrant dans le parc du Château pour prendre quelques heures de repos.

Avant midi, les GIS étaient place de la Mairie à la grande joie des enfants qui recevaient des chocolats, des friandises et des chewing-gums. Pour les hommes, des cigarettes. Bref, c’était l’euphorie pour presque tout le monde.

Quant à moi, ce n’était pas l’émerveillement. J’étais heureuse bien sur mais le véritable choc fut d’entendre tous les carillons des églises.

L’après-midi, une amie est venue me chercher afin d’aller voir passer les chars « ricains » comme on disait à l’époque.

Je n’étais pas encore bien vaillante, nous avons fait une pause au bord de la route qui mène à la mairie. Il y avait beaucoup de monde, tous voulaient voir les libérateurs.

Les enfants leur jetaient des pommes et en échange ils recevaient des choses qui les rendaient fous de joie.

Tout à coup, je vois arriver deux cyclistes mitraillettes en bandoulières bien visibles : c’étaient les deux lascars venus chez moi auparavant pour descendre ma voisine. Ils s’arrêtèrent et m’apostrophèrent : « Ah, vous n’avez pas voulu que l’on débarrasse la société de sale boche et bien ce n’est que partie remise ! ». Et les voilà repartis.

Quelques minutes se sont écoulées et l’on entendit deux rafales de mitraillette, un vrai choc. Je pensais aux enfants de cette pauvre femme qu’ils avaient dû rencontrer et tuer. J’étais en train de gamberger quand soudain, elle apparaît devant moi tenant ses deux enfants par la main.

Quelle joie, quel soulagement ! Elle me dit : « Vous n’allez pas plus loin ? Moi, il faut que je suive mes deux brigands, ils ont tellement hâte de voir les américains ».

La foule qui allait vers la mairie était assez dense. Après un petit moment de repos, nous nous sommes remis en route. Les chars défilaient. Depuis que nous en rêvions, nous ne pensions pas assister à un tel déferlement de rires, de chants, d’embrassades avec les soldats.

Mais pourquoi faut-il que les plus belles choses disparaissent dans la fange !!!

Soudain, des voitures de ferme qui je crois s’appellent « tombereaux » arrivèrent. A l’intérieur, plusieurs femmes la tête rasée, dénudées jusqu’à la ceinture, des croix gammées dessinées sur les seins, couvertes de crachats. Les gens les injuriaient. Elles auraient, si l’on peut employer le terme, collaboré avec les « boches ». La plupart d’entre elles pleuraient ou gardaient les yeux fermés.

Après une heure d’exposition, si je puis dire, le convoi s’ébranlait pour aller éblouir un village voisin. Il paraît qu’une seule voiture transportait quelques femmes et filles de Villers.

J’avais tellement de peine et de honte que je ne cherchais même pas à les identifier.

Après le départ de ce triste cortège, la fête reprit : les fameux organisateurs et les artisans de cet affreux spectacle se congratulaient parmi toutes les personnes qui étaient venues se réjouir de voir et de parler avec nos libérateurs ; heureusement, beaucoup d’entre eux n’ont rien vu de cet intermède, arrivés trop tôt ou trop tard.

Évitons de nous attarder sur ces débordements ignobles d’autant plus que certains pays ont été beaucoup plus cruels : à Laigneville, par exemple, quatre personnes ont été tuées !

 

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